« Corps ficelé et langue coupée : recette de Ma Gouvernante »
En 1936, Meret Oppenheim réalise une œuvre-objet intitulée Ma Gouvernante, une paire d’escarpins blancs retournés et ficelés, sur un plateau argenté, les talons ornés de manchons, à la façon d’une volaille rôtie. Typiquement surréaliste, cet assemblage fétichise et animalise la femme de façon humoristique. Mais cette œuvre marque aussi la distance prise par Meret Oppenheim, après le succès de son Déjeuner en fourrure, vis-à-vis d’un milieu qui l’encense et la bride dans le même temps. Ma Gouvernante ne dit-elle pas, de façon éclatante, l’assignation à la féminité, dont la muse est victime? Et n’interroge-t-elle pas, plus largement, une conception sado-masochiste des rapports hommes/femmes?
Ma Gouvernante n’est pas sans évoquer la tête coupée de Jean-Baptiste, "objet" de sacrifice s’il en est dans l’histoire de l’art, ou encore l’histoire tragique de Philomèle, violée et privée de sa langue, qui devient à son tour bourreau. Au cœur de ces mythes, la réification de l’autre, la folie meurtrière et le cannibalisme : autant de "motifs" chers aux surréalistes, de "valeurs" associées à la création et de "clichés" relatifs à la féminité. Dans cette idéologie finalement fort normative, fondée sur une opposition des sexes, peu de place pour l’expression de subjectivités autres.
Ma gouvernante témoigne ainsi d’un clivage propre aux femmes, muses et artistes, icônes et auteurs, compagnes et sujets (Meret Oppenheim mais aussi Unica Zürn ou encore Françoise Janicot), dont le désir d’affirmation se heurte, sans doute exemplairement, à la difficulté à se défaire de leurs liens et à prendre la parole librement.
Meret Oppenheim, Ma gouvernante - My Nurse - Mein Kindermädchen, 1967 (1936)