analyse culturelle et études de genre / art, mythes et images

groupe de recherche coordonné par anne creissels et giovanna zapperi
docteures de l'ehess, chercheures associées au cehta

contact : annecreissels(at)orange.fr g.zapperi(at)gmail.com

séance du vendredi 16 mai 2008


Victoria Turvey Sauron, Chercheuse postdoctorale 2007-8, boursière Entente Cordiale Université de Bordeaux III Michel de Montaigne, victoriasauron(at)hotmail.com

« Mains, seins, sens, présence : Michel-Ange et la maternité »

Les travaux réalisés jusqu'à présent dans ce domaine, en particulier par James Hall, Creighton Gilbert, et Jonathan Katz Nelson, s’attachent surtout à expliquer la relation ambiguë de l’artiste à la féminité par rapport aux contextes théologiques, sociaux et artistiques de l’époque. Ils n’abordent pas vraiment d’un point de vue plus large et théorique la maternité et l’être corporel que Michel-Ange a su traduire à travers ses figures de femmes.

Le but ici n’est pas de faire un recensement des représentations féminines de l’artiste – qui est une icône, à juste titre, principalement pour sa maîtrise du nu masculin – mais plutôt de relever des aspects moins valorisés, voire ignorés, de son œuvre. La représentation de la femme et de la maternité a été largement mise de côté par les historiens d’art, principalement à cause de la réputation de l’artiste et de sa position unique au sein du canon patriarcal de l’histoire de l’art. Son statut de personnification du génie artistique ne sert pas son œuvre, puisque les approches dites "nouvelles" en histoire de l’art ne s’y sont pas encore aventurées: Michel-Ange demeure le Grand Maître intouchable.

Depuis l’article fondamental de Linda Nochlin en 1971, "Why have there been no great women artists?", un certain mouvement (Griselda Pollock, Mieke Bal) commence enfin à redéfinir le canon patriarcal et ses critères d’appartenance, non pas en construisant un nouveau canon alternatif à coté de l’ancien, mais en disséquant ses valeurs en s’intéressant aux artistes qui y sont les plus traditionnellement ancrés. Il s’agit d’analyser l’influence de ces artistes et leur importance selon d’autres critères, pour sortir enfin du système hiérarchisant et exclusif: étudier l’étiquette de "génie" non pas pour la rejeter, mais pour expliquer comment cette notion, une fois adaptée, peut encore être utile pour expliquer la puissance persistante d’une œuvre d’art.

En ce qui concerne Michel-Ange, je suggèrerai que sa maîtrise absolue de la perfection du corps dénudé masculin brouille les pistes de recherche en occultant des détails de désir et perte corporelle qui s’expriment à travers le corps maternel. On ne peut pas faire l’économie de l’étude de ces corps, où il démontre une compréhension à la fois troublée et profonde du corps habité par l’être pensant, si l’on veut parvenir à une meilleure compréhension des caractéristiques de son génie.

Une méthodologie fondée sur les traces d’émotions portées dans des gestes et des détails, comme celle instaurée Aby Warburg, permettra de présenter un Michel-Ange ni assujetti à une enfance psychanalysée à une distance de 500 ans, ni pris au piège de constructions du XXIe siècle concernant sa sexualité. Les œuvres complexes de Michel-Ange se prêtent à cette approche qui se focalise sur l’intensité de l’immobilité "émouvante", en donnant forme aux paradoxes des Pathosformel sans mouvement, visages maternels sans expression.

Michel Ange, La Sainte famille et Saint Jean (Tondo Doni), vers 1504-1506, Florence, Galerie des Offices