analyse culturelle et études de genre / art, mythes et images

groupe de recherche coordonné par anne creissels et giovanna zapperi
docteures de l'ehess, chercheures associées au cehta

contact : annecreissels(at)orange.fr g.zapperi(at)gmail.com

séance du vendredi 8 décembre 2006


Giovanna Zapperi, docteure de l'EHESS en Histoire et théorie des arts, g.zapperi(at)gmail.com

« Un autre regard. Ethnographie, narration et post-colonialisme »

Cet exposé découle d’un travail en collaboration avec Alessandra Gribaldo, anthropologue, pour un article à paraître dans Multitudes (n° 29, été 2007). Le point de départ de notre réflexion est la crise, caractéristique de notre présent post-colonial, des formes historiquement codifiées pour raconter l’altérité et de la possibilité même d’un récit objectif. Cette crise a cependant permis l’émergence de ce qu’on appellera les récits de l’autre, ceux qui étaient implicitement exclus de la position de sujets du récit. Cette crise est particulièrement visible dans une discipline comme l’anthropologie qui se fonde précisément sur la narration de l’Autre.

À partir des problèmes posés par la possibilité d’une narration visuelle de l’altérité, je propose, dans cet exposé, d’analyser le lien entre narration, représentation et identité à travers le travail de Tracey Moffatt, Isaac Julien et Fiona Tan. Dans leurs vidéos et installations, la question du regard posé sur l’autre s’articule autour des thèmes de la mémoire et de la crise de l’ethnographie en tant que moyens de représentation/narration de l’altérité culturelle. Ces artistes mettent en scène un "autre" regard capable de faire émerger des histoires subalternes et refoulées. Ils affirment une identité marginale et, en même temps, hybride, au-delà des mythes de l’origine et de la pureté qui traversent la pensée coloniale et colonialiste.

Extrait du film Night Cries : A rural Tragedy de Tracey Moffatt, 1990, Australie, 35mm, couleur, 17min



Anne Creissels, agrégée d'arts plastiques, docteure de l'EHESS en Histoire et théorie des arts, annecreissels(at)orange.fr

« La grâce du geste ou l’assignation à la féminité »

Cet exposé s’inscrit dans le cadre d’une réflexion sur le geste dansé comme marqueur d’identité à partir d’un film de Rebecca Horn intitulé Der Eintänzer (le danseur mondain ou le danseur solitaire) réalisé en 1978. J’ai choisi de m’intéresser ici à la ballerine russe et à ses jeunes élèves, et surtout aux instruments utilisés par celles-ci (objets réalisés par Rebecca Horn).

Formes caricaturales d’une "discipline des corps", la ballerine et ses "instruments de danse" matérialisent le rapport de la grâce à la contrainte. L’idée d’une contrainte des corps participant de la construction d’une identité féminine prend forme très précisément avec la figure de la ballerine romantique à la fin du XIXe siècle. Les œuvres de Degas et de Toulouse-Lautrec décrivent de façon exemplaire le statut ambivalent de la danseuse, à la fois évanescente et disponible sexuellement.

À travers la figure archétypale des Trois Grâces s’affirme plus largement le lien entre représentation de la grâce par le corps féminin et instrumentalisation du corps des femmes. Le renouvellement du sens attribué à la triade à travers les siècles ne va pas sans la volonté persistante de maîtrise du corps et des gestes des femmes par l’image et l’allégorie. En s’identifiant aux Grâces de Botticelli, Isadora Duncan, au début du Xxe siècle, mène à envisager une possible ré-appropriation par une danseuse-chorégraphe de ce mythe mais aussi à s’interroger sur le potentiel subversif d’une "danse libre" fondée sur le caractère "naturel" de la grâce.

Les "instruments de danse" de Rebecca Horn ne suggèrent-ils pas paradoxalement une possible résistance face à une assignation des corps par le mouvement et un possible déplacement des identités, par le corps en mouvement, à travers extensions et hybridations?

Extrait du film Der Eintänzer de Rebecca Horn, 1978, États-Unis, 16mm, couleur, son, 47 min