analyse culturelle et études de genre / art, mythes et images

groupe de recherche coordonné par anne creissels et giovanna zapperi
docteures de l'ehess, chercheures associées au cehta

contact : annecreissels(at)orange.fr g.zapperi(at)gmail.com

séance du vendredi 9 mars 2012


Carole Rieussec est artiste électroacoustique ; depuis 1986, elle compose avec les bruits, les voix et les rythmiques du monde. Après des études interrompues de philosophie à l’université Lyon III, elle a poursuivie, hors institution, une recherche personnelle en esthétique. Elle est membre du duo Kristoff K.Roll ; depuis 1990, avec Jean Kristoff Camps, il/elle créent un labyrinthe sonore à entrées multiples. Elle a créé et co-dirige le Festival international sonorités à Montpellier.
carole.rieussec(at)free.fr

« L’étonnement sonore
Objet de pensée sonore en mouvement »

Les objets de pensée sonore sont des formes transversales qui donnent à réfléchir le monde contemporain depuis l’acte artistique.

L’étonnement sonore est une création électroacoustique, un tissage philosophique de voix féminines qui abordent sensiblement "l’aporétique question" (1) de l’étonnement sonore.

"La mise en frottement de L’étonnement et du qualificatif sonore a été le déclencheur d’un mode de questionnement particulier. De la même façon qu’il m’était impossible de préciser ma question, je ne pouvais que "tourner autour", de la même façon les femmes interrogées n’ont pu me répondre qu’en me délivrant des souvenirs où avait surgi l’étrangeté ; cette étrangeté renvoyant à l’impossibilité de toute réponse. Le tissage musical et philosophique de toutes ces paroles enregistrées s’est élaboré sur plusieurs années."

L’étonnement sonore se décline de multiples façons, il se métamorphose lentement. Dans la pièce pour plateau, la composition électroacoustique est diffusée via un haut-parleur dans le noir. La spatialisation du son - la mise en mouvement du haut-parleur - est confiée à un duo chorégraphe/compositrice. Les déplacements et les manipulations du haut-parleur produisent une "diffusion live" de type analogique. La création d’un prototype de "haut-parleur lumineux" permet ponctuellement de rompre l’obscurité, d’éclairer le corps de la chorégraphe ainsi que des détails de l’architecture ; cette "lumière haut-parlante" matérialise également la diffusion du son, elle fait exister visuellement le haut-parleur. La lumière est ici un paramètre du sonore, elle est aussi "phénoménale" que le son. Son et lumière se projettent d’un même point - exactement.

Johann Maheut et Guillaume Robert sont plasticiens, ils ont conçu ce "haut-parleur lumineux" et la partition visuelle, Clara Cornil est chorégraphe, elle est intervenue sur l’écriture de la spatialisation, Carole Rieussec est compositrice, elle est la conceptrice de cet objet de pensée sonore en mouvement.

C’est une pièce féministe, elle parle de l’oppression des identités féminines dans la fabrication du discours philosophique, elle déconstruit poétiquement le sujet universel du discours philosophique, ce "nous-JE" issu de la politique phallogocentrique. Elle suppose qu’une nouvelle configuration politique est possible, elle est acte poétique et philosophique local.

Composée de multiples couches, cette œuvre dont le regard silencieux est l’énigme, est finalement un hommage au lien maternel électif (c’est à dire non biologique). A partir du récit de la fabrication de cet « objet de pensée sonore », et à l’écoute de fragments de L’étonnement sonore, je proposerai quelques pistes de réflexion autour :
du son / vers une féminisation de la culture
des femmes et de la philosophie / les épistémologies « alternatives »
des avant-gardes musicales et de l’art expérimental sonore actuel / les traces d’une présence féminine

(1) Aporie au sens aristotélicien : "Chez Aristote, l’aporie naît de la mise en présence de deux thèses également raisonnées et cependant contraires. Loin d’être un frein, (…) l’aporie est avant tout une méthode de recherche." (Michel Lambert, Grand dictionnaire de la philosophie, CNRS éditions).

Clara Cornil, chorégraphe et le "haut-parleur lumineux" de L'étonnement sonore, crédit photo : Alain Kilar