analyse culturelle et études de genre / art, mythes et images

groupe de recherche coordonné par anne creissels et giovanna zapperi
docteures de l'ehess, chercheures associées au cehta

contact : annecreissels(at)orange.fr g.zapperi(at)gmail.com

séance du vendredi 9 avril 2010


Damien Delille
, doctorat en Histoire de l'Art, Université François Rabelais de Tours, laboratoire de recherche InTRu (Interaction, Transfert, Rupture artistique et culturelle), damiendelille(at)gmail.com

« Crises des masculinités. Le Sâr Péladan et la réception de l'idéalisme Rose-Croix au passage du siècle »

L’organisation des Salons de la Rose-Croix, en 1892, par le très fantasque Joséphin Péladan va déterminer un pan important de l'esthétique idéaliste du symbolisme fin-de-siècle. La réception critique est plutôt féroce, volontiers sarcastique devant les possibles déviances sexuelles d’un idéalisme platonisant, avec pour idéal la figure ambiguë de l'androgyne décadent, flanquée de l'excentricité dandy de son mentor, le Sâr Péladan. L'image d'un homme nouveau, débarrassé des polarités sexuelles, efféminé et célibataire, nourrit le fantasme d’une possible crise de la masculinité, celle relayée dans les journaux et la caricature de l’époque (épisode du Chat Noir, réception de la littérature symboliste), s’appuyant sur les récents développements de la médecine légale (lutte contre l'onanisme et les perversions sexuelles) et de la criminologie (contrôle de la prostitution et des vices contre-nature).

L'objet d'une étude sur la réception non artistique, mais sociale du salon symboliste de la Rose-Croix, permet d’identifier le rôle de ces activités artistiques dans l’émergence d'un nouvel ordre sexuel au passage du siècle. Sa définition corrobore le développement d'une construction sociale de l'homosexualité, en Allemagne et en France (hermaphrodisme de l'âme de Karl Heinrich Ulrichs, troisième sexe de Magnus Hirschfeld et psychologie sexuelle de Richard Von Krafft Ebing), symptôme s'il en est d'une peur masculine de la perte de la virilité. Il s'agit ainsi de voir comment la personnalité du dit 'décadent' Joséphin Péladan provoque, malgré les attendus de sa théorie androcentrée, une série de réactions crispées, liées à la misogynie ambiante, et de comprendre les ressources de sublimation mises en place par les propres milieux symbolistes. Cette étude frontale des rapports entre émergence clinique de l'homosexualité et évasion idéaliste de la figure androgyne, place le débat symboliste dans une utopie réactive, trop souvent considérée comme simplement passéiste.

Joséphin Péladan, BNF