analyse culturelle et études de genre / art, mythes et images

groupe de recherche coordonné par anne creissels et giovanna zapperi
docteures de l'ehess, chercheures associées au cehta

contact : annecreissels(at)orange.fr g.zapperi(at)gmail.com

séance du vendredi 12 février 2010


Vanina Géré, Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle, vaninagere(at)gmail.com

« Participations, résistances, impuissance : Kara Walker et le sujet postmoderne »


La pratique de l’artiste afro-américaine Kara Walker n’est pas de celles qui nous laissent en paix avec nos émotions. Ses œuvres nous mettent face aux contradictions de notre position par rapport à une Histoire chargée des stigmates de la violence raciste et sexiste. Ses silhouettes sur papier découpé, qui l’ont rendue célèbre, semblent empruntées à des livres d’histoires, mais l’Histoire qu’elles racontent est au final celle du traumatisme laissé par des siècles d’esclavage et de discrimination raciale, de colonisation et d’impérialisme. Bien loin d’être une artiste engagée au sens militant du terme, Walker traite de la violence et de son spectacle sur le mode de l’ambivalence, cherche à nous séduire pour mieux nous piéger, en nous montrant de belles images pour mieux nous horrifier ; elle nous fait une douce violence pour nous donner mauvaise conscience, sans toutefois chercher à résoudre le conflit qu’elle suscite entre plaisir et dégoût. En ce sens, son art construit les spectateurs comme sujets postmodernes par excellence, pris dans l’oscillation entre fascination et répulsion, prise de conscience et mise à distance, tel que le décrivait Hal Foster dans The Return of the Real. Walker force le sujet hors de la position postmoderne pour l’y ramener par la suite, dans un mouvement circulaire qui trouve son écho dans ses installations-cycloramas ; elle utilise les stratégies du postmodernisme, mais ne nous permet pas de savoir dans quelle mesure son œuvre prend part au postmodernisme comme force de résistance, ou comme constat d’impuissance.

Les premières installations de silhouettes stéréotypes sur papier découpé en noir et blanc qui ont marqué le début de la carrière de Walker fonctionnaient comme un véritable "test de Rorschach", mettant le spectateur face à la contamination de sa propre conscience, en signifiant l’impossibilité pour le sujet contemporain d’échapper à l’imagerie raciste et sexiste. Face à un tel projet, cependant, l’imagerie de Walker poserait problème dans la mesure où elle courrait le risque de perpétuer les représentations déshumanisantes propres au racisme et au sexisme, et il faudra examiner l’utilisation qu’elle fait des artefacts éminemment kitsch que sont les caricatures racistes, pour enfin poser la question du rapport du sujet postmoderne face à l’Histoire qui ne saurait être que récit, et au réel qui ne saurait être que spectacle.

Kara Walker, Somebody Call an Ambivalence, 2007, courtesy the artist and Sikkema Jenkins and Co