analyse culturelle et études de genre / art, mythes et images

groupe de recherche coordonné par anne creissels et giovanna zapperi
docteures de l'ehess, chercheures associées au cehta

contact : annecreissels(at)orange.fr g.zapperi(at)gmail.com

séance du vendredi 8 janvier 2010


Astrid Thibert
, doctorante en histoire de l’art, Université Picardie Jules Vernes, CRA (Centre de recherches en arts « images et formes »), Astrid.Thibert(at)gmail.com

« Cut Piece de Yoko Ono : La colère de Bouddha »

En 1964, Yoko Ono marque l’histoire de l’art en présentant pour la première fois l’action Cut Piece à Kyoto au Japon. Assise sur scène, immobile, impassible, elle invite le spectateur à découper un morceau de ses vêtements. À travers cette action formellement simple mais radicale qui relève de l’expérience, Ono manie des concepts complexes et adresse un message fort. Par la double provocation du don de son corps et de la référence à la figure du Bouddha, elle réalise un acte politique d’une puissance toujours effective.

En référence à la méditation silencieuse qui constitue le zen, l’action expérimente le lien entre le corps et l’esprit. L’utilisation du corps comme médium de l’œuvre est liée à l’expression d’une violence subie et redistribuée. Le corps vidé, dont ne reste selon l’artiste qu’une "pierre", devient stigmate d’une colère intériorisée. C’est la force silencieuse d’Ono alliée à l’exhortation du spectateur d’agir qui produit l’extériorisation de la violence. L’artiste fait l’expérience volontaire de la soumission à l’agressivité du geste de dénudement et du regard anonyme posé sur son corps, progressivement révélé jusqu’à son essence.

L’expérience du vide corporel permet d’appréhender l’intensité du monde intérieur et ses tensions, notamment le malaise relatif au genre. Avec la transcendance du Bouddha, en position d’Autre face au spectateur, elle interroge sa condition d’artiste et de femme, mais aussi de toutes les femmes. Elle révèle une vulnérabilité impassible troublante qui se retourne telle une arme contre le spectateur. En dénudant l’artiste c’est la pulsion de domination du spectateur qui lui est renvoyée comme devant un miroir. La personnalité du spectateur se dévoile dans sa manière de découper le vêtement (avec douceur ou agressivité).

La critique de la position de la femme, la réflexion sur le genre font de Cut Piece une action de référence de l’art féministe. L’artiste qui ne revendique pas une position féministe dans le processus de création de l’œuvre intègre néanmoins progressivement cette lecture de l’œuvre. L’action, sans cesse en mutation au fil de ses nombreuses représentations, est en dialogue constant avec la réception critique. Cut Piece est également un rituel destiné à renforcer la relation de l’esprit avec le monde extérieur, à opérer la mutation de l’idée en acte, à rationaliser l’irrationalité en soi.

Yoko Ono, Cut Piece, 1964. Photo by Minoru Niizuma, courtesy of Lenono Photo Archive, New York