analyse culturelle et études de genre / art, mythes et images

groupe de recherche coordonné par anne creissels et giovanna zapperi
docteures de l'ehess, chercheures associées au cehta

contact : annecreissels(at)orange.fr g.zapperi(at)gmail.com

séance du vendredi 27 mars 2009


Émilie Giaime, doctorante à l’EHESS, emilie.giaime(at)yahoo.fr

« Séduction : discours et représentations »

Parmi les dispositifs actuels qui structurent les représentations et imposent les usages légitimes des corps pour produire "ces artefacts sociaux que sont un homme viril ou une femme féminine" (Bourdieu), le cinéma tient une grande place. Selon la théoricienne féministe Teresa de Lauretis, "il ne fait guère de doute que le cinéma – l’appareil cinématographique – est une technologie de production du genre", car son dispositif "contribue à la production de positions de sujet et à la fabrication – plus rarement à la déconstruction – des identités sociales et genrées". 

De façon plus insidieuse, les discours abstraits ou "savants" produisent, tout autant que les films, des représentations. Lorsqu’ils touchent aux identités et aux relations de genre, ils ont un impact symbolique fort : ils façonnent des assignations, suggèrent des aspirations différenciées entre masculin et féminin, comme le souligne Monique Wittig dans La pensée straight.
 
C’est par le prisme de la séduction, envisagée comme un passage obligé à l’intérieur cette "relation obligatoire entre 'l’homme' et 'la femme'", que cette intervention investira le champ de l’hétérosexualité – son imaginaire et son expérience. En effet, "comme métaphore du désir, la séduction est apprentissage et ritualisation des hiérarchies entre masculin et féminin" (Florence Rochefort, Séduction et sociétés. Approches historiques). Ses aspects injonctifs et normatifs particulièrement contraignants pour les femmes en font l’un des instruments les plus efficaces de la violence symbolique. Avec son cortège de représentations essentialistes et hétéronormées, elle pourrait être une pièce maîtresse dans le processus d’incorporation et de reproduction de la domination masculine. Néanmoins, parce qu’elle implique aussi des mises en scène et des projections de soi, elle peut réserver des marges de manœuvre et des espaces de liberté. À ce titre, elle serait susceptible de bouleverser la répartition traditionnelle des rôles masculins et féminins, et d’inventer des dissemblances jusqu’à introduire du trouble dans le genre. 

En dépit des potentialités critiques et des enjeux politiques qu’elle réserve, la séduction reste un objet théorique non identifié : dérisoire et frivole pour les sciences humaines et sociales, répulsif pour la théorie féministe. Ce vide conceptuel contraste avec le trop-plein des représentations cinématographiques, qui font de la séduction un topos, une figure consacrée, un fantasme public. 

Cette intervention tentera de mesurer les enjeux de la séduction, à l’intersection de l’identité de genre et de l’identité sociale, comme grammaire du tissu social et comme pratique intime, subjective, énigmatique. Nous nous appuierons sur deux textes théoriques sur la séduction (Alain Roger ; Jean Baudrillard), que nous comparerons avec quelques séquences de films de fiction (La Vérité d’Henri-Georges Clouzot (France, 1960) ; L’Ange de la vengeance d’Abel Ferrara (États-Unis, 1981) ; Basic Instinct de Paul Verhoeven (États-Unis, 1992)) pour tenter d’en décrypter les implications et les impensés.
 
Extrait du film La Vérité d’Henri-Georges Clouzot, 1960, France