analyse culturelle et études de genre / art, mythes et images

groupe de recherche coordonné par anne creissels et giovanna zapperi
docteures de l'ehess, chercheures associées au cehta

contact : annecreissels(at)orange.fr g.zapperi(at)gmail.com

séance du vendredi 13 juin 2008


Aya Sekoguchi-Laffon, doctorante à l’EHESS, danseuse de nihon-buyô, aya.sekoguchi(at)orange.fr

« La corporéité du nihon-buyô (danse traditionnelle japonaise) – l’union corps-esprit menant au-delà du clivage sujet-objet »

De nos jours, la vie est sous l’influence des idées que la modernité a instaurées, telles que la dichotomie entre le corps et l’esprit ou la prédominance de la raison au détriment du corps. Abstraites, les théories intellectuelles sur l’opposition entre l’observateur et l’objet observé laissent cependant échapper la véritable réalité concrète et immédiate, comme le réductionnisme de la science moderne classique. À la différence de la pensée européenne qui s’appuie sur la logique aristotélicienne de l’identité du sujet, la pensée japonaise est marquée par une tendance à exalter, et surtout à concrétiser le champ existentiel (ba) où le sujet et l’objet s’insèrent: par exemple, la notion de basho (champ) de Nishida Kitarô (1870-1945).

Cette optique est présente aussi dans des pratiques effectives: par exemple, le créateur du , Zeami (1363-1443?), a analysé comment instaurer de véritables interactions avec le public situé dans le même champ, et le maître de sabre Yagyû Munenori (1571-1666) a essayé d’entraîner l’adversaire dans le champ pour anticiper ses mouvements. Ces maîtres ont conclu que c’est effectivement l’unité corps-esprit, dit mushin (non-conscience), qui permet d’accéder à un champ collectif.

Leur vision baigne dans la tradition bouddhiste, dans laquelle la symbiose du corps-esprit en une seule réalité (shinjin ichinyo) conduit à l’éveil au-delà de la bipolarité entre le moi et le monde. Pour cela, la pratique physique (shugyô) – par exemple zazen (meditation assise) du zen – est indispensable, puisque le corps est perçu comme un moyen pour exercer l’esprit. La notion d’exercice (keiko) dans les arts traditionnels japonais incorpore cet aspect de la pratique (shugyô) du bouddhisme, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas simplement d’entraînement physique, technique, mais de développement corrélatif du physique et du psychique. C’est pourquoi ces arts sont appelés geidô, littéralement la voie de l’art, concept sensiblement différent d’une idée de "l’art" au sens occidental moderne. Le terme (voie) nous montre que l’essentiel réside dans le processus lui-même d’assimilation de l’art, qui se poursuit jusqu’au dernier jour d’un praticien.

L’objectif de l’exposé est de mettre en lumière la corporéité du nihon-buyô (la danse traditionnelle japonaise), dérivé de la danse du kabuki, en analysant comment et pourquoi l’union corps-esprit amène à la fusion entre soi et autrui, à partir des traités de Zeami et des textes sur l’escrime et sur le tir à l’arc.

Takehara Han (1903-1998) interprétant la pièce Yuki (neige)